Technique

Pêcher dans les Cévennes toute l'année

Antonin Simon · · 11 min

De l'ouverture truite en mars aux carnassiers d'hiver, mon calendrier personnel des meilleures périodes, techniques et spots de pêche entre Gard et Lozère. Avec bonus champignons et truffes.

Rivière cévenole au printemps, période d'ouverture truite

On me demande souvent : “C’est quand, la meilleure période pour pêcher ?” Ma réponse ? Toute l’année. Vraiment. Entre les rivières cévenoles, les étangs gardois et la Méditerranée à une heure de route, il y a toujours quelque chose à faire. Le tout, c’est de savoir quoi chercher, où aller, et comment s’adapter aux conditions du moment.

Voici mon calendrier personnel, affiné au fil de 30 ans de sorties. Pas un guide théorique copié sur internet, mais le fruit de mon expérience de terrain, avec mes techniques préférées et les coins que je fréquente vraiment.

Hiver — Carnassiers au ralenti

Quand les rivières sont trop froides pour la truite (fermeture de mi-septembre à mi-mars), je me rabats sur les carnassiers en étangs et lacs. Brochet jusqu’à fin janvier, perche et sandre toute l’année. Les poissons sont léthargiques, au fond, économes en énergie. Il faut adapter sa pêche : des leurres souples montés sur têtes plombées lourdes (14-21g) pour aller les chercher en profondeur, pêcher en verticale depuis un float-tube ou un bateau, ou pratiquer le mort manié au vif pour le brochet — une technique old school mais redoutablement efficace quand l’eau est vraiment froide.

Mes spots de prédilection : l’étang de Vergèze pour les brochets et les perches (population dense, poissons actifs même en hiver), le lac de Villefort pour les sandres de belle taille dans un cadre d’un calme absolu hors saison, et le Vidourle ou le petit Rhône pour traquer le loup (Dicentrarchus labrax) qui remonte en période hivernale.

Janvier 2024, sur l’étang du Ponnant, l’eau était glaciale. Un loup de mer de belle taille est venu crever la surface pour prendre mon leurre avant de se décrocher au dernier moment. C’est le genre de rencontre fugace qui vous rappelle que même au cœur de l’hiver, quand tout semble endormi, un instant magique reste possible. C’est ça, la beauté de la pêche.

Printemps — L’explosion de vie

Deuxième samedi de mars. L’ouverture de la truite. 5h30 : réveil, café serré, équipement vérifié une dernière fois. Direction le Gardon d’Anduze. 6h45 : parking plein, une cinquantaine de voitures. 7h00 : premier lancer dans une eau glacée à 8°C, nymphe au fil lourde pour prospecter le fond. 7h12 : première touche, une fario de 28 cm qui se débat vigoureusement.

Les techniques les plus efficaces pour cette période : le toc (appât naturel comme la teigne ou le ver de terre, avec une canne télescopique de 4-5 mètres), la nymphe au fil (particulièrement productive dès que l’eau commence à se réchauffer), et la nymphe à vue dans les fosses claires pour cibler les poissons actifs. Les spots les plus réguliers : le Gardon d’Anduze en amont du pont (accès facile, mélange de truites de repeuplement et de sauvages), les gorges de la Dourbie (que des sauvages, plus méfiantes mais magnifiques combattantes), et le Tarn en rive gauche dans les gorges (farios de 35-40 cm pour ceux qui acceptent de marcher 2h).

Réglementation à respecter : maille légale de 23 cm, quota de 6 poissons par jour maximum, hameçons simples uniquement (pas de triples).

Mi-avril, phénomène fascinant : les aloses remontent l’Hérault et le Gardon depuis la Méditerranée pour frayer. Combats puissants, pêche aux appâts naturels ou à la mouche. Spot mythique : le barrage de Conqueyrac. Fin mai, les barbeaux fraient dans le Rhône. Pêche au chènevis + maïs en montage feeder. On peut toucher de gros spécimens de 4 à 6 kg, de vrais bulldozers.

Paysage cévenol au printemps — l'ouverture truite, le plus beau jour de l'année

Été — Méditerranée

Quand les rivières baissent et chauffent (fermetures fréquentes en août pour protéger les populations), direction la Méditerranée. De juin à septembre, c’est le règne de la dorade royale. Les spots les plus productifs : la jetée sud du Grau-du-Roi (dorades de 1-2 kg quasi garanties en juillet), la plage des Roquilles à Carnon (bars au stickbait en pêche itinérante), et le canal de Maguelone à Palavas (secteur calme, accessible, avec mulets et dorades).

Technique dorade classique, héritée des anciens marseillais : montage coulissant avec plomb olive de 40g, bas de ligne en fluoro de 30/100, hameçon n°4, et comme appât du pain grillé trempé dans l’huile d’olive avec des herbes de Provence. Simple mais redoutable. Une dorade de 2,3 kg prise au Grau-du-Roi en juillet 2022 après 15 minutes de combat — relâchée, elle devait avoir 8 à 10 ans.

Quand il fait vraiment trop chaud, la pêche à pied avec les plus jeunes reste une excellente option. Crabes à l’épuisette dans les rochers, crevettes au haveneau dans les herbiers, oursins au couteau si on en trouve. Spot incontournable : l’Espiguette à Port-Camargue, plage sauvage magnifique. Attention aux quotas réglementaires : 5 kg de coquillages par personne et par jour, avec des tailles minimales à respecter (4 cm pour les palourdes, par exemple).

Littoral méditerranéen — quand les rivières ferment, la mer accueille

Automne — Le réveil des prédateurs

Troisième dimanche de septembre : fermeture de la truite. C’est une période que j’affectionne particulièrement. Beaucoup moins de monde au bord de l’eau, et les poissons qui n’ont pas été prélevés ont eu tout l’été pour grossir — ils sont encore actifs avant l’hiver. La technique reine pour cette fin de saison est la mouche sèche en fin de journée, quand les sedges et les éphémères éclosent à la surface.

Mais l’automne, c’est vraiment la saison des carnassiers. Dès que l’eau commence à se rafraîchir, ils entrent en frénésie alimentaire pour constituer leurs réserves avant l’hiver. C’est le moment idéal pour sortir les leurres et prospecter activement.

Septembre-Octobre : La perche commune Un pur plaisir d’automne. La perche est vorace, vit en bancs, et offre des touches spectaculaires. C’est le moment parfait pour la pêcher en “top water” (leurres de surface) sur les chasses d’alevins en fin de journée. Le coup du soir sur le Gardon en aval de Remoulins offre régulièrement de belles sessions. Avec un petit stickbait ou un popper, le spectacle des attaques en surface est au rendez-vous. Et pour ceux qui aiment consommer leur pêche, c’est probablement le meilleur poisson de nos eaux douces.

Octobre-Novembre : Le brochet, roi de la saison La meilleure période de l’année pour traquer Esox lucius. Les leurres de type jerkbait (comme le Black Minnow ou le One Up Shad) qui imitent un poisson blessé donnent d’excellents résultats. Dans les herbiers, un spinnerbait fait des merveilles grâce à sa conception anti-accroche. Pour ceux qui visent un poisson record de plus d’un mètre, les “big baits” (leurres de 20-30 cm) peuvent déclencher l’attaque d’un vieux brochet territorial.

Les spots les plus productifs pour cette période : l’étang de Pujaut (brochets particulièrement agressifs en novembre), le canal du Rhône à Sète près de l’écluse de Bellegarde pour le sandre au crépuscule, et le lac de Salagou dans l’Hérault pour ses grosses perches en bancs et ses brochets solitaires qui patrouillent les bordures.

Le cycle continue

Chaque fin d’année ramène le froid, le ralentissement de l’activité, l’attente. Et puis, en mars, tout recommence. C’est ce cycle immuable, ancré dans les saisons, qui fait la beauté de notre passion. Il n’y a pas de “meilleure” période pour pêcher. Il y a juste des saisons différentes, avec des approches, des techniques et des plaisirs différents.

Il suffit de s’adapter à ce que la nature nous offre. Et d’être là, présent, au bon moment.


Bonus 1 — Champignons et truffes

Parce qu’un bon pêcheur est aussi un bon observateur de la nature, et donc souvent un bon cueilleur. Après une session truite dans les Cévennes, il n’est pas rare de remonter avec des cèpes (dans les bois de châtaigniers, en octobre), des girolles (sous les chênes, après un bon orage d’août), ou des trompettes de la mort (dans les hêtraies humides, en novembre). Les coins à cèpes se situent généralement entre Anduze et Saint-Jean-du-Gard, en forêt domaniale — mais les spots précis restent secrets, c’est une tradition.

La tradition rabassière (chercheur de truffes) est ancienne dans la région. Les “brûlés”, ces zones sans herbe autour des chênes truffiers, trahissent la présence du précieux champignon. La truffe noire du Périgord (Tuber melanosporum) se récolte de décembre à mars, et se négocie au marché de Uzès entre 500 et 800€ le kilo en pleine saison (janvier). La recherche nécessite aujourd’hui un chien formé, c’est un vrai métier — mais les arbres producteurs sont toujours là. Nostalgie d’une époque révolue.

Bonus 2 — Tableau récapitulatif

MoisEspèceTechniqueSpot
JanvierBrochetLeurre souple lourdÉtang Vergèze
FévrierPercheVerticaleLac Villefort
MarsTruite (ouverture)Toc / NympheGardon Anduze
AvrilAloseAppâts / MoucheBarrage Conqueyrac
MaiBarbeauFeederRhône Beaucaire
JuinDoradeFlotteur / PoséGrau-du-Roi
JuilletBarLeurre surfaceCarnon
AoûtPêche à piedÉpuisetteEspiguette
SeptembreTruite (fin de saison)Mouche / NympheDourbie / Tarn
OctobreBrochetJerkbaitLac Salagou
NovembreSandreLeurre soupleCanal Rhône-Sète
DécembreCarpeBouilletteÉtang Pujaut

Bonus 3 — Ma philosophie en bref

  • Fermetures à noter : Truite (du 3e dimanche de septembre au 2e samedi de mars), Brochet (du dernier dimanche de janvier à fin avril), Ombre commun (du 15 janvier au 15 mai). Ces dates peuvent varier légèrement selon les départements — vérifier systématiquement sur le site de la fédération départementale de pêche avant de partir.

  • Pression de pêche & Discrétion : L’eau cristalline des rivières cévenoles ne pardonne rien. Dans ces eaux claires, l’observation n’est pas une option, c’est la clé de la réussite. Passer 10 à 15 minutes à regarder l’eau avant de faire le premier lancer permet de repérer les gobages, les chasses, les postes occupés — c’est du temps gagné, pas du temps perdu.

  • Polyvalence avant tout : Le meilleur pêcheur n’est pas celui qui maîtrise parfaitement une seule technique, c’est celui qui sait s’adapter aux conditions du moment. Avoir de quoi passer du toc à la nymphe ou au leurre dans son sac permet de réagir. Ce sont les conditions et le comportement du poisson qui dictent la technique, pas l’envie du jour.

L’eau réserve toujours des surprises

17 septembre 2019, juste avant la fermeture annuelle de la truite. Gardon d’Anduze, secteur des gorges. Pêche à la nymphe depuis plus d’une heure. Rien. L’eau est basse, la chaleur encore présente. Dernier lancer, par acquit de conscience, dans une fosse profonde sous un surplomb rocheux. Une touche violente, brutale. Le fil se tend instantanément, la canne plie dangereusement. Ce n’est clairement pas une truite.

Combat de 10 minutes. L’épuisette est trop petite pour ce qui se débat au bout de la ligne. Après mille précautions, un brochet de 68 cm finit par être amené sur la berge. Un brochet. Dans le Gardon. En septembre. À la nymphe.

Relâché immédiatement — hors quota truite, et période de reproduction proche pour l’espèce. Cette prise reste gravée comme l’une des plus belles surprises. L’eau réserve toujours des surprises à ceux qui restent humbles et attentifs.

Pour aller plus loin :

— Antonin

Antonin Simon - Guide de pêche

Antonin Simon

Guide de pêche professionnel basé dans le Gard. Chroniqueur sur France Bleu Gard Lozère. Spécialiste de la pêche traditionnelle aux appâts naturels, des truites sauvages aux carnassiers, de nos rivières cévenoles aux destinations lointaines.

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